Récit-néma : Peterbilt 351 : un deus ex machina chez les cannibales

Préambule

Tout le monde connaît les Peterbilt 281 et 351 de Duel, le fameux film de Spielberg, où un camion fou prend en chasse un brave automobiliste dans sa Plymouth Vaillant, aux confins du désert des Mojaves. Pourtant le modèle vedette de la marque californienne a connu les feux de la rampe à d’autres occasions et notamment dans ce qui restera sans doute comme l’archétype du film d’épouvante : Texas Chainsaw Massacre, ou Massacre à la tronçonneuse, en langage civilisé.

Le film

Il est nécessaire ici de dire quelques mots du film, dont la réputation est très éloignée de la réalité. Précisons que je parle ici de la première mouture, véritable chef d’œuvre de l’angoisse et pas les étrons pour ados qui l’ont suivi. Évoquez Massacre à la Tronçonneuse au cours d’un repas entre amis et bien que peu de gens l’aient vu, tout le monde ira de son commentaire, affirmant que « c’est un film gore », qu’on y voit « des litres d’hémoglobine », j’en passe et des meilleurs. Il n’est pas inutile de rappeler que le film joue surtout sur la suggestion, qu'il s'agit d'un film d'épouvante, pas d'horreur et qu’au final, on y voit moins de sang que dans un épisode de Derrick, un dimanche après midi sur France TV. On y présente l'horreur sous un jour nouveau : le danger ne vient plus de l'extérieur (Extraterrestres, vampires, démons...), mais de l'intérieur : une famille étatsunienne ravagée par la crise économique et qui bascule dans la folie.
 

L'action

Venons-en à notre Peterbilt. Il faut attendre les quatre dernières minutes du film pour le voir apparaître. Et contrairement à Duel, où le camion avait le rôle d’un tueur psychopathe, le "Pete" de Massacre à la Tronçonneuse vient en aide à l’héroïne du film, il est donc du côté du "bien".  En éliminant l’un des cannibales, et en protégeant la jeune femme de « face de cuir » (qui ne manquera pas de donner des coups de tronçonneuse sur la porte), il donne à la fin du film, une issue optimiste, puisque la survie de Sally est assurée (je n’en dirais pas autant de son état mental !).
Le camion joue donc les Deus Ex Machina, autrement dit, un personnage que l’on n’attendait pas et qui dénoue une situation complexe, comme ces dieux du théâtre grec antique.

Le camion

Le tracteur appartenait à Ed Guinn, le conducteur du camion dans le film, comme il l'expliqua dans un entretien : "Bob Burns [le directeur artistique du film] était rédacteur en chef du Ranger [une revue satirique texanne], et il savait que lorsque je suis arrivé de Californie, j'avais un camion. Ils ont loué une remorque à bétail, je l'ai accrochée à mon camion, et le reste se trouve au Musée d'art moderne."

Le tracteur serait un modèle de 1961, le véhicule ayant été produit de 1954 à 1976. Il porte l’inscription « Black Maria » sur sa cabine et a reçu une couchette en aluminium. Equipé d'un moteur Caterpillar et d'une boîte Eaton à 10 vitesses, il aurait circulé jusqu'en 1987-88, ayant fini sa vie comme camion agricole.

La semi remorque est une Wilson, produite à Sioux City. Le choix d’une bétaillère n’est certainement pas anodin. Effectivement, la viande est le fil conducteur du film : la famille d’assassins travaillait dans un abattoir, « face de cuir » porte un tablier de boucher, le pompiste invite les innocentes victimes à un barbecue, l’auto-stoppeur parle de « fromage de tête ». Bref, c’est une façon de dire que la déviance (le cannibalisme) qui a débuté par la fermeture des abattoirs et sa misère sociale, s’achève par l’arrivée d’une bétaillère. La boucle est bouclée.

Notons également que Ed Guinn est surtout connu comme guitariste et chanteur de blues. Par une curieuse analogie, son nom ressemble à celui de Ed Gein, le fou anthropophage qui a inspiré le film.

Épilogue

Si l'on ignore ce qu’il est advenu de la semi remorque, le tracteur existe toujours. Après avoir dormi quelques décennies sous un hangar dans une ville anonyme du Texas, près de San Marco, il est en cours de restauration par les propriétaires de la station service où fut tourné une partie du film. En dépit de la grande notoriété du film, le Perterbilt, qui n'apparaît que quelques minutes à l'écran, demeure bien moins connu que le 281/351 de Duel. Pourtant, il y joue un rôle indéniable.